Commissariat
Marta Jonville
Par la recherche, la collecte et l’expérimentation, cette artiste plasticienne, architecte et designer explore de nouvelles relations possibles entre les humains et non-humains.
Directement inspirées des formes et caractéristiques physiques du vivant, ou produites à partir de la récupération de matériaux naturels évolutifs, ses oeuvres questionnent des processus de transformation et de métamorphose.
En explorant la science, de l’archéologie du vivant à la vie artificielle, mais aussi les traditions et les rituels protecteurs, Denise Bresciani propose à La cuisine, des formes qui renvoient à la fertilisation de la terre, à sa digestion, à la procréation biologique. Elle ouvre des canaux émotionnels et offre des espaces pénétrables et palpables.
Pensée comme un hommage au vivant, à ce que nous sommes et à ce que nous deviendrons, son exposition est traversée par une pensée animiste, chamanique, laissant toute sa place à l’inconnu et à l’imaginaire.
"Avec Seconde nature, j’ai voulu surtout créer un espace doux à pénétrer pour offrir une pause, un temps dilaté d’observation et favoriser une condition propice à la réflexion du changement. C’est le point de départ d’une exposition qui surgit dans une période
marquée par la crise écologique dont la cause principale est à attribuer à une
crise de la sensibilité humaine. Il faut créer les conditions pour ré-activer un espace sensible, pour que le visiteur puisse se sentir pris dans les bras et se projeter ailleurs, se métamorphoser.
Plus touchés, caressés, embrassés au-delà de l’espace de vie intime depuis un an et demi, ce besoin en premier personnel, a été le fil conducteur de ce projet de création ».
Denise Bresciani
[:]« Aucune espèce ne peut se limiter à habiter son propre corps. Elle est obligée de rentrer dans une maison charnelle de l’autre, d’intégrer la maison de l’autre, devenir le corps de l’autre, devenir la chair des autres espaces ».
Emanuele Coccia, 2018
Détails des installations de l’exposition Seconde nature, 2021 ©ADAGP
Née en Italie en 1970, Denise Bresciani, architecte, designer et artiste plasticienne, vit et travaille actuellement à Toulouse en France.
Elle est titulaire d'un DEA - Diplôme d’État en Architecture de l'Université Politecnico de Milan et, elle enseigne les arts plastiques à l’Université J. Jaurès de Toulouse.
L’œuvre de Denise Bresciani est polymorphe et comprend l’installation, la sculpture et la performance.
Dans son processus de recherche l’artiste est proche d’un scientifique. À la manière d’un anthropologue, elle crée des outils qui interrogent l’être humain et son environnement par l’expérimentation d’espaces de cohabitation.
Par ses performances, via l’utilisation des aliments, elle offre la possibilité d’habiter collectivement l’espace pour vivre des expériences plurisensorielles.
Ces sculptures et installations sont le résultat d’une approche expérimentale sur la manière de faire vivre des procédés traditionnels ancestraux et leur hybridation.
Prendre en compte la fabrication même du matériau dans le processus de création est une idée centrale dans son travail. Le processus est axé sur l’utilisation de matériaux organiques d’origine animale, végétale et minérale.
Par des essais avec ces matériaux qu’elle collecte et qu’elle fabrique et, dans la volonté de brouiller les frontières entre passé et futur, ses œuvres questionnent des processus de transformation et de métamorphose.
Cette pratique transversale lui permet d’ouvrir une réflexion vers des solutions alternatives appliquées à l’art et au bio-design face aux urgences liées au changement climatique.
"Avec Denise Bresciani, l’art se touche, se goute et se sent. Son oeuvre est tellurique et rugueuse. Elle ouvre une voie de réconciliation entre l’animal, le végétal et le minéral et nous replace parmi les autres êtres qui peuplent Gaïa. Elle nous invite à nous retrouver, femmes et hommes, parmi les arbres et les pierres. [...] Son art est avant tout terrien. Ses recherches sur l’inerte et le vivant nous rappellent que « les organismes sont des noeuds au sein du réseau ou du champ de la biosphère, où chaque être soutien avec l’autre des liens intrinsèques » pour reprendre les mots d’Arne Næss à propos de l’écosystème Gaïen. Sa création nous dit que l’art n’est pas un os mais une sensation vivifiante."
Arnaud Fourrier
Les idoles Détail de l’installation, céramique, bois, minéraux, bio plastique, fibres végétales, coquillage, fruits. Denise Bresciani, 2021 © ADAGP
Un texte de Jean Deilhes
L’exposition « Seconde nature » que Denise Bresciani présente au Centre d’art La cuisine à Nègrepelisse (82) ne manquera pas de dérouter les spectateurs qui espèrent trouver dans l’art des réponses toutes faites aux grandes questions universelles (anthropocène, préservation du vivant, discours des origines). Ce sont pourtant bien des questions de cet ordre qui traversent la proposition d’une artiste qu’on connaissait surtout jusqu’ici pour son travail sur le vivant et l’organique, à savoir des domaines qui intéressent au premier plan le design culinaire, la performance et le biodesign. Au sein d’une énigmatique proposition plastique qui se révèle aussi stupéfiante que merveilleuse, l’artiste se complait au contraire à brouiller les cartes du naturel et de l’artefact. La réconciliation — thème qui fédère la série d’initiatives artistiques et culturelles voulues par la nouvelle directrice du lieu Marta Jonville — opère ici comme moteur d’une réflexion où la relation du corps à l’espace et à la matière agit autant sur les manières d’habiter que sur celles de créer.
Avant d’entrer dans l’espace d’exposition, le spectateur reçoit tout d’abord une offrande qui prend la forme d’une petite coupelle de terre cuite modelée contenant un des produits lacto-fermentés élaborés par l’artiste durant sa résidence à La Cuisine. Le rituel, qui fait appel aux sensations gustatives, est, à plusieurs titres, un avant-goût de l’exposition. Il constitue à la fois un prologue sensoriel et une ouverture vers les modes de conception utilisés par l’artiste dans l’exposition. En effet ce type de fermentation utilisée depuis le néolithique afin de conserver les aliments, participe chez cette artiste de la fabrication de biomatériaux dont la finalité est avant tout plastique, ici. Il s’agit, d’emblée, d’un cérémonial et d’un parcours qui engagent les sens mais aussi le corps du spectateur. On ne voit pas qu’avec les yeux : l’exposition est un espace multi sensoriel.
La première installation comprend des modules de bois nommés Gli abitanti [les habitants] qui tiennent lieux d’habitat et même d’habitacle dans lesquels le spectateur est invité à s’allonger. La blonde chevelure d’étoupe (filasse de chanvre) qui recouvre partiellement la structure, nouée à même l’armature de bois, obstrue l’entrée, formant ainsi une épaisse fourrure aussi odorante que du crin de cheval. Cet abri végétal propose une expérience immersive mêlant sensations tactiles et olfactives qui nous arrache temporairement à l’espace d’exposition. Ramené à une condition animale dans une armature qui figure tout à la fois un cocon, le terrier ou la grotte, le spectateur fait ainsi l’expérience d’une « seconde nature », rejouant une scène primitive, archaïque, qui renvoie à l’aube de l’humanité.
Au centre, une épaisse table en bois brûlée présente une curieuse série de petites objets (Les idoles). Présentés à même la surface calcinée de la table, certains sont produits pour l’occasion et d’autres proviennent au contraire de collections sans distinction d’origine : des pièces issues du fonds archéologique du Musée Calbet (Grisolles) côtoient des objets issus de la collecte personnelle de l’artiste, sans qu’il soit possible d’en établir d’emblée la fonction ou le sens. Les alignements ne sont ni tout à fait formels ou structurels, ni seulement plastiques ou chromatiques. Leur organisation relève d’une indétermination suffisamment malicieuse pour court-circuiter toute approche sérieuse et Les idoles forment une improbable série qui n’a d’autre vocation que le présent immédiat. Tailloir néolithique, pointe de harpon, coquillage, projectile de chasse, silex taillés, phallus dressés en céramique, membrane de kombucha séché, vulves émaillées, sorgho, proposent une cohabitation improbable. Étonnant procédé, en soi, qui consiste à conférer aux objets, sans distinction d’âge, de fonction et de nature, une dimension où le poétique et l’anthropologique s’associent selon un principe magique. Telle est aussi la fonction de Tintinnabulum, objet plastique et sonore formé par une série de formes allongées qui évoquent chacun une vulve. L’œuvre, suspendue, est sonore : il faut la toucher pour l’activer. Elle renvoie directement aux tintinnabuli qui se trouvaient suspendus au-dessus de l’entrée de la domus antique : ces petites amulettes sonores, placées au seuil, et traditionnellement composées de phallus de terre cuite étaient censés assurer une protection contre les mauvais esprit. Chez Denise Bresciani, Tintinnabulum marque bien un seuil, celui de toute l’installation nommée Jardin désobéissant, troisième partie de l’exposition. L’œuvre, qui consiste à féminiser le tintinnabulum, fait allusion à Hanging Janus de Louise Bourgeois, un tintinnabulum en bronze formé de l’extrémité de deux pénis. Mais peut-être s’agit-il aussi de rappeler qu’il existe d’autres seuils, féminins, quant à eux, que d’aucuns feraient bien de vouloir respecter...
On n’est pas loin du Parti pris des choses d’un Francis Ponge, sauf qu’ici l’artiste semble avoir été saisie à son tour par la préhistoire, préhistoire dont le terme, inventé au XIXe siècle, correspond à l’émergence d’un trouble total dans la connaissance des origines de la Terre, de l’homme et de l’art. La tension créée entre un bloc de silex, à même le sol, et une pierre en suspension, est redoublée, au sol, du lien que l’archéologie établit entre ce premier bloc, matrice d’où furent extraits divers outils, et la collection d’outils préhistoriques présentés dans la suite des idoles.
Qu’il s’agisse de l’ossature de bois d’où coule une chevelure bonde, des balais, des pierres, des tessons, la disposition des objets à même le sol ou en suspension évoque directement l’architecture — l’artiste avait pour premier métier celui d’architecte. A l’opposé de Gli abitanti, double structure horizontale et verticale, figurent au sol des balais de sorgho qui dessinent une abside où s’abrite une mère Kombucha dont la croissance permet l’obtention, une fois séchée, des feuilles translucides qui sont parfois employées dans la fabrication d’objets plastiques (Le jardin désobéissant). Parfois la paille tissée recouvre les matrices utilisées par l’ébéniste pour cintrer les arcatures de bois, parfois celle-ci se dresse comme une chevelure. Un rhizome se dessine entre matière brute et matière à créer. Ainsi en est-il de la paille des balais, de la matière noire de la table, dont le bois brûlé provient directement du yakisugi — une ancestrale technique japonaise destinée au traitement du bois —, de l’étoupe, ou encore de la terre cuite émaillée. Rien qui ne soit naturel sans pour autant relever du vivant. Là est le paradoxe, auquel le titre même de l’exposition « Seconde nature » semble vouloir renvoyer, sous la forme d’un oxymore. La nature est une (aujourd’hui menacée) à laquelle la culture s’emploie à donner une seconde vie, ou une nouvelle chance d’exister, comme si l’une pouvait être garante de l’autre, la réciprocité en plus. Au sol, dans leur conque, le kombucha, où se développe une mère, comme celle de nos vinaigres, dialogue avec de curieuses boules de terre qui contiennent chacune une graine. Ces dernières évoquent la fertilité aléatoire qui est celle des junk gardens inventés par Masanobi Fukuoka, dont on retrouve la trace directe dans cet alignement de céramiques informes recouvertes de paille. Une sorte de permaculture appliquée à une terre rendue inerte par la cuisson réalise une promesse impossible à tenir.
C’est donc en déplaçant un sujet aussi sérieux que celui des relations nature - culture sur le territoire du geste et du faire artistique que l’artiste parvient à réactiver des pratiques et des savoir-faire immémoriaux. La main qui érige entre ses doigts un boudin de terre noire, la torsion d’une barre de fer ou d’une tige de bois, participent ici d’un dialogue entre les premiers gestes d’une industrie humaine et la matière brute. Les matériaux réunis sont tous archaïques : la terre, le bois, le végétal, le minéral et l’animal évoquent directement la préhistoire. De la même façon que le mot et le concept de préhistoire furent inventés au XIXe siècle, l’art et les artistes participent d’un discours sur les origines, celles de l’habitat, de la chasse, de la collecte, et bien sûr de l’art. Rien d’étonnant à ce que la seconde nature (humaine) trouve à se manifester dans sa capacité à se mettre en récit : cela s’appelle l’Histoire. Mais le titre de l’exposition dit aussi ceci : que la transformation d’éléments naturels en matières et matériaux constitue la seconde vie d’une nature qui s’avère, paradoxalement, n’en avoir qu’une seule. Le geste est symbolique, il est une marque de réconciliation. Qu’une petite boule de terre séchée soit capable de conserver à la graine qu’elle renferme toutes ses propriétés fertiles consiste à rendre visible une promesse, celle d’un renouveau. Ni art naïf, ni primitivisme ici. A l’inverse d’une nostalgie du passé, il s’agit d’une naïveté retrouvée où s’éprouvent les effets de la matière brute sur les gestes et non l’inverse. C’est une main éprise de matière, en quelque sorte. Mais c’est aussi le signe de la prolifération d’un matiérisme non pictural, ici, à l’ensemble de l’espace d’exposition.
En partenariat avec le Musée Calbet pour le prêt de la collection
À travers cet atelier, Denise Bresciani propose une dynamique collective autour d’un thème qui peut susciter intérêt et débats. Vous découvrirez ainsi de nombreuses préparations issues des recettes millénaires appartenant à toutes sortes de sociétés humaines. Elles ont été sélectionnées pour donner lieu à un cycle d’échange et d’apprentissage en cuisine, expérimentant la fermentation comme processus de création. L’artiste s’intéresse à cette technique depuis plusieurs années. Au-delà, de la recherche de nouveaux goûts et textures des aliments, ce processus très lent lui permet d’obtenir des nouvelles « matières comestibles » adaptées à ses projets artistiques. Lors de cet atelier, elle partagera avec vous quelques-unes de ses découvertes.
La cuisine, centre d'art et de design
Place du château, 82 800 Nègrepelisse
05 63 67 39 74
ACCÈS
→ Parking devant l’entrée | Gratuit
→ Bâtiment accessible handicapé